Centre-ville: les promoteurs ne peuvent tout faire seuls
JONATHAN CUSTEAU
La Tribune
(SHERBROOKE) Pour que de nouveaux résidants choisissent le centre-ville comme domicile, il faudra une concertation entre les entrepreneurs, les promoteurs et la Ville de Sherbrooke. Voilà le constat unanime des promoteurs contactés par La Tribune. S'ils croient tous que l'avenir du quartier passe effectivement par l'attrait de jeunes professionnels qui vivront et travailleront au centre-ville, ils s'entendent pour dire qu'ils ne peuvent porter seuls le poids d'une revitalisation.
Roger Junior Labonté possède déjà plus d'une centaine de logements au centre-ville. Après l'incendie de son édifice comportant une boutique et des logements, il avait opté pour la construction d'appartements de plus haut de gamme. « Nous n'aurions pas fait une bâtisse de cette valeur-là si on ne croyait pas au centre-ville, mais il faut sentir une volonté de tout le monde. Le centre-ville est bien implanté, parce qu'il est entre Rock Forest, le Nord et Fleurimont, mais il faudrait peut-être arrêter d'entraîner des gens aux quatre coins de la ville. Avec le Centre de foires, la Cité du parc, les activités sont trop réparties. »
M. Labonté admet ne pas toujours comprendre les choix de la Ville. « J'ai discuté avec un promoteur de l'extérieur qui souhaitait investir à Sherbrooke. Il ne comprend pas qu'il n'y ait pas d'hôtel près du Centre de foires et que l'automobile soit le meilleur moyen d'accéder au secteur. »
L'homme d'affaires indique que son taux d'occupation est de 100 % et qu'il rejoint principalement les jeunes professionnels, de même que les étudiants en droit et en médecine. S'il garde la porte ouverte à de nouveaux investissements, il insiste sur le fait que des subventions de la Ville seraient nécessaires pour épauler les entrepreneurs.
Déplacement du centre-ville
Un de ses comparses, qui souhaite ne pas être identifié, croit que l'habitation demeure la meilleure stratégie même s'il est convaincu que le nouveau secteur en vogue est celui de l'intersection King Ouest et Jacques-Cartier. Avec la Cité du parc, le complexe Vü et le développement prévu rue Pacifique, de l'autre côté du pont Jacques-Cartier, il est convaincu que le centre-ville est en déplacement.
Pour lui, les bâtiments existants ont une faible valeur et les promoteurs ne voudront pas investir pour lancer de gros projets au centre-ville s'ils doivent acquérir des bâtiments qu'il leur faudra ensuite démolir. Il suggère par exemple de transformer la rue Wellington Sud en quartier latin, avec des résidences pour étudiants, pour relancer le secteur. La Ville pourrait aussi acheter des terrains qu'elle décontaminerait avant de lancer des appels d'offres pour de l'habitation, comme ce fut le cas à Québec. La démolition, plutôt que la conversion, serait la piste la plus prometteuse. Cette option nécessiterait toutefois l'injection de plusieurs millions de dollars.
Quant aux résidences cossues situées dans le sud du quartier, cet entrepreneur croit qu'elles nécessitent trop d'entretien et d'investissement pour la clientèle de jeunes professionnels qu'on souhaite attirer.
Philippe Dussault, de l'entreprise Immeubles Must Urbain, ne partage pas la même opinion concernant l'intersection King-Jacques Cartier. « On y trouvera probablement davantage de personnes retraitées. Les jeunes de 30-35 ans risquent plus de s'établir dans un secteur comme celui du centre-ville... »
La solution de M. Dussault? Avec sa partenaire d'affaires Lise Drapeau, il vise à créer de l'habitation « intéressante » et de qualité. Il a notamment rénové le 291-293 rue Alexandre et entreprendra sous peu celle de l'édifice du monument national, rue Marquette, qui compte 26 logements. Il s'intéresse aussi aux résidences de la Cathédrale.
« Nous avons quelques immeubles au centre-ville et ils sont tous complets. Quand on arrive avec un beau produit, les locataires n'ont pas de problème à payer le même montant qu'ailleurs en ville. Il faut toutefois donner un petit coup de pouce aux entrepreneurs. Les immeubles sont beaux, mais ils ont besoin d'être remis à niveau. Il faut faire avec ce qui existe déjà. »
L'objectif d'attirer de nouveaux résidants pour atteindre une mixité au centre-ville est-il réaliste? « Ça dépendra à quel point la Ville en fera sa priorité », indique Philippe Dussault.
Centre-ville: il faut travailler le sentiment d'appartenance
JONATHAN CUSTEAU
La Tribune
(SHERBROOKE) S'il y a des gens qui ont adopté le centre-ville, ce sont bien les locataires de la Coopérative du Possible, rue Brooks, considérée comme la première coopérative d'habitation de la région. Pour attirer d'autres résidants dans le secteur, ils croient qu'il faudra renforcer le sentiment d'appartenance.
Ces citoyens ont accepté de partager leurs pistes de solution après qu'un restaurateur eut lancé un cri du coeur au moment de la fermeture de son commerce, en début de semaine.
Denis Arcand, membre de la coopérative, est né au centre-ville. «La coopérative a été fondée en 1973. C'était d'abord une commune qui visait à sortir les personnes handicapées des institutions. La deuxième année, ils ont décidé d'axer leur mission sur la famille. Ils ont fait appel à ma mère, qui a commencé à solliciter des dons. Il y avait des besoins flagrants dans le secteur Centre-Sud. Les gens défavorisés vivaient principalement dans le quartier.»
S'il estime que le taux de roulement est moins élevé chez lui que dans les appartements du voisinage, l'homme croit qu'il faut donner le crédit au sentiment d'appartenance. Un sentiment qui contribue à développer le tissu social. «Cette année, les familles ont commencé à prendre leur place dans le parc Antoine-Racine. Les gens de mauvaises moeurs sont moins tentés de venir dans ce temps-là», précise Denis Arcand.
Si on en croit celui qui a passé une partie de sa vie au centre-ville, ceux qui désirent s'y installer doivent être ouverts d'esprit. «Toutes sortes de monde se retrouve là. Ça bouge plus...»
Dès le retour des vacances, les membres de la coopérative feront d'ailleurs leur part pour attirer de nouveaux résidants en travaillant au développement de la coop. Elle possède huit immeubles pour le moment, mais pourrait en acquérir d'autres. «Il y a des propriétaires dans le coin qui sont là juste pour ramasser leur chèque à la fin du mois. Il faudrait qu'ils entretiennent un peu plus leurs bâtiments», plaide M. Arcand.
Pour lui, comme pour son voisin Alain Côté, il n'est pas question de déménager. Tous deux apprécient la possibilité d'accéder à tous les services dont ils ont besoin à distance de marche. Et ils se félicitent que des jeunes âgés de 25 à 35 ans s'établissent près de chez eux avec l'intention d'y rester.
C'est le cas de Mélissa Hamel, récemment nommée présidente de la coopérative. «Je suis arrivée au centre-ville à 18 ans. Plus tard, je suis partie pour trois ans au Saguenay avant de revenir vive ici. J'aime que tout soit proche et que les loyers soient encore abordables. Mais à la base, je suis venue pour le projet de coopérative. Je suis pour la mixité de la population. Au centre-ville, je souhaite voir autant des jeunes professionnels que des étudiants et des personnes retraitées.»
À son retour du Saguenay, Mme Hamel a noté les changements flagrants sur la rue Wellington Sud. Mais elle a aussi senti une plus grande ouverture de la population du centre-ville. «Nous nous occupons du parc Racine. Nous prenons soin de notre territoire et c'est devenu un milieu de vie plus agréable.»
Joëlle Crevaux, jeune mère de famille, a aussi choisi le centre-ville. «Avant, on voyait plus de délinquants. Si nous occupons l'espace avec des familles et des professionnels, ça pourrait changer. Ça influencera les gens qui sont déjà sur place et modifiera la vie de quartier. On entend que le secteur peut être dangereux, mais si on reste ici, ça peut changer.»
Interrogés quant aux éléments qui pourraient faire du centre-ville un milieu de vie plus agréable, ces membres de la coopérative lancent l'idée d'un parc à chiens, d'un jardin communautaire et d'une quincaillerie de quartier.